Par Hector Vega publié le 06-12-2017
Après presque 30 ans, la transition frustrée met sur le tapis le sens véritable des gauches et des droites dans le spectre politique chilien. Elles ont toutes été détruites par le coup d’état de 1973 et jamais elles n’ont réapparu comme éléments clés pour comprendre la politique chilienne.
C’était un temps où les gens de droite qui avaient facilité le coup d’état et qui suivaient les directives du Département d’Etat ont compris que Pinochet (pas le pinochetisme)ne convenait pas pour attirer les investissements étrangers. Une certaine répugnance internationale rendait la situation difficilement maniable depuis le Chili.
La privatisation du cuivre a pris effet avec la Concertation. En 1990, quand ont été inaugurés les gouvernements démocratiques, Codelco concentrait 70% des ventes de minerai. Dix ans plus tard, la situation s’était inversée : les 70% de vente étaient au compte des entreprises minières privées.
La Concertation (1990-2010) aux mains de la social-démocratie a gouverné au consensus. Stratégie qui, grosso modo, a été reproduite par la Nouvelle Majorité de Bachelet (2014-2018)et l’interrègne de Pinera (2010-2014) . Ainsi, comme l’a voulu Jaime Guzman, cette sainte alliance des gauches et des droites admet toutes les réformes dans la mesure où celles –ci ne portent pas atteinte au consensus du système binominal et des institutions régis par la constitution de 1980 .
Sur ce socle fondamental, qui a permis la gouvernance des convictions social-démocrates des gauches et des droites du spectre politique chilien, s’est consolidé le système des fonds de pension(AFP), de la santé (Isapres), de l’éducation, de l’environnement, des investissements en ce que l’on considère comme propriété privée en vertu de la concession minière complète ; pour finir, on a glorifié l’administration de l’argent, de la dette et de la charité publique (téléthon) pour combattre les inégalités. C’est la raison de fond pour laquelle , en presque trente ans , il n’y a jamais eu de transition.
Lors des récentes élections, sur un électorat de 14.347.258 citoyens, 46,7% ont participé, c’est-à-dire 6.699.627. Au second tour, l’enjeu et le succès sera de mobiliser une part importante des 53,3% restants, c’est-à-dire plus de 7 millions de votants potentiels qui se définissent comme non participants à un processus qui ne les concerne pas.
Cette toile de fond explique l’apparition du Frente Amplio (Front Elargi). Ce n’est pas un phénomène soudain. Il s’est forgé à la chaleur des mouvements sociaux depuis au moins 10 ans. Les 20% obtenus par le Frente Amplio aux élections du 19 novembre rendent possible globalement l’avènement des mouvements sociaux dans la politique du Congrès.
Il est encore trop tôt pour le savoir mais il est probable que les 20% du Frente Amplio soient la traduction politique des mouvements sociaux et étudiants des 20 dernières années. Force sociale en marge des consensus du pouvoir politique.
De plus, il se constitue comme une force politique, bien que non hégémonique, en faveur de l’Assemblée Constituante, l’éducation publique gratuite, ; NO + AFP et la confirmation du système par répartition ,l’ effacement des dettes pour le logement, le remboursement aux professeurs de la dette historique , la fin du CAE ; en faveur aussi des revendications du secteur public, des mouvements d’autonomie, du respect de l’environnement, du mariage pour tous, etc…
Son potentiel de développement se trouve chez tous ceux qui se sont abstenus au premier tour. C’est sur cette frange que se fera le deuxième tour du 17 décembre.
La pratique politique des mouvements sociaux a ruiné l’hégémonie des dirigeants des partis de l’extérieur. Cela ne fonctionne plus. Il ne parait plus acceptable que les Biens Publics tels que l’éducation, les retraites, la santé, l’écologie (l’emblématique Hydroaisen parmi beaucoup d’autres) soient soumis au prix du marché. La revendication de ces biens représente la valorisation sociale du travail que ce soit au niveau de l’unité de production ou, à défaut, en tant que politique de l’état.
La valorisation sociale du travail déclenche une dynamique de transition insoupçonnée. De plus, il est possible d’envisager , à l’avenir, le transfert d’une partie du secteur social accaparé par la vieille politique vers des positions de gauche qui apparaissent aujourd’hui sous l’égide du Frente Amplio. Ceci pourrait être l’occasion pour que se réalisent les premières propositions pour une société plus juste et solidaire.
Ces questions de fond permettent de comprendre la place qu’occupe le Frente Amplio à l’aile gauche du conglomérat social-démocrate et son candidat Guillier. Si cette aile gauche veut les voies du Frente Amplio, elle devra bien comprendre que ce qui est en jeu c’est un programme . Il appartient à la Nouvelle Majorité de prouver sa volonté d’évoluer vers une nouvelle politique pour obtenir ainsi les voix que le Frente Amplio a réunies le 19 novembre.
Il est un fait qu’aucune des tendances du conglomérat , en cas d’élection, n’aura la majorité au Congrès. D’autre part, le Frente Amplio n’aura pas non plus les 2/3 ni les 3/5 nécessaires pour les grandes réformes qu’il proclame. La sortie de l’impasse dépend de la dynamique que les mouvements sociaux imprimeront au processus politique et à l’écho que celle-ci aura sur le Congrès.
Le troisième facteur, au cas où il serait élu, ressort de Guillier lui-même. Son engagement pour une nouvelle Constitution et l’Assemblée Constituante constitue l’ouverture d’un axe politique à partir de mars 2018. Nous entendons par là un plébiscite sur ce que nous appelons les Principes constitutionnels, au nombre de 10 ou 15, qui après approbation, seraient remis à une Assemblée Constituante.
Désormais, on inaugure une politique marquée par la dynamique des mouvements sociaux. Nous espérons que le Frente Amplio saura lire le message.
L’ avenir dira s’ils ont été ou non à la hauteur de la tâche.
Source: Rebelion Chile – http://www.rebelion.org/noticia.php?id=234907&titular=el-frente-amplio-y-la-segunda-vuelta-
Traduction: FAL33
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