Par Marco Teruggi, le 22 février
Nous sommes encore plus seuls. Ce n’est pas une nouveauté, c’est une tendance qui s’approfondit. La solidarité internationale avec le Vénézuela a diminué en particulier après les mois d’avril/ juillet de l’an dernier. Des alliés qui étaient proches avant ont pris de la distance, ainsi que d’autres qui examinaient avec attention le processus et nous défendaient devant les avalanches d’accusations lancées par los médias rassemblés et les forces de droite. On n’est plus seulement dans l’obligation de déconstruire les éléments bases qui répètent que le Vénézuela est une dictature, mais aussi de reconstruire le tissu de liens à la révolution qui a souffert. Ce sont deux niveaux distincts qui demandent des stratégies différenciées.
Dans cette configuration, on peut opter pour se décharger de toute responsabilité sur les autres. Les œillères et l’homogénéité des grands médias de communication internationaux sont terribles . Une grande partie de l’espace est interdit à ceux qui ne répètent pas le discours qui vise à isoler le Vénézuela. A tout cela, se sont agrégées les voix de toute une gamme de présidents d’Amérique Latine et d’Europe. On peut aussi attribuer à ceux qui se sont éloignés une série d’adjectifs : opportunistes, traîtres, intellectuels qui se sentent bien seulement où il y a du soleil – le Vénézuela n’est plus soleil mais tempêtes – et claudiquent devant les pressions politiques dans chacun de leurs pays, complices par choix.
Mettre toute la responsabilité dans le camp de l’autre est finalement malhonnête et surtout peu constructif. Je ne doute pas que certaines postures publiques –et le silence en est une– puissent être expliquées par la complexification de ces qualifications. Mais cela signifie que nous ne nous questionnons pas sur nos échecs, sur ce que nous n’avons pas fait ou mal fait, et éloigne la possibilité de renouer les liens nécessaires autour du Vénézuela, de réarticuler des solidarités entre les gauches, les progressismes, et les écologismes dans le cas de l’Europe. Ce sont eux, essentiellement , qui peuvent discuter sur le sens de ce qui se passe au Vénézuéla dans chacun de leurs pays, par des débats, des votes, des mobilisations, selon les rapports de forces politiques et de communication qui, en général ne sont pas favorables. Ceci est indispensable dans cette situation où on entend des armes se charger à la porte de nos frontières alors que les solidarités ne sont pas automatiques.
Le premier niveau de défense est le caractère démocratique du processus politique qui se vit au Vénézuela. Là, on a reculé. L’opinion publique qui identifie le chavisme comme une dictature est de plus en plus répandue. C’est ce mot, par exemple, qui est le plus associé à Vénézuela quand on fait un relevé dans les médias de communication en Suède – ça pourrait s’étendre à plusieurs autres pays. Le deuxième mot qui apparaît le plus est « corruption ». Ces éléments de langage sont répandus furieusement : il leur est absolument nécessaire de les répéter jusqu’à la nausée pour créer les conditions face à une possible nouvelle action de force nationale/ internationale .
Dans cette dimension du débat, on a besoin d’outils concrets : lois, articles de la constitution, sentences du Tribunal Suprême de Justice, faits, déclarations comme celles de la commission des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies qui a affirmé en décembre qu’ il n’y avait pas de crise humanitaire au Vénézeula. A l’extérieur, il existe des doutes autour de l’assemblée nationale constituante, sur la légalité de l’avancée des élections, les raisons qui expliquent que la Table d’Unité Démocratique (MUD) ou Volonté Populaire ne puissent pas se présenter aux élections présidentielles. Il s’agit de convaincre ceux qui pourraient apporter leur appui mais qui se trouvent à court d’arguments dans une situation de haute tension , ou de se défendre contre les attaques systématiques de la droite. Ce qui importe, c’est bien connu, c’est la légalité, mais aussi et surtout, la légitimité.
Ce niveau est nécessaire mais insuffisant. On court le risque de se trouver limités par ce que certains, à l’extérieur, voient comme de la victimisation. Cela se traduit par un discours qui consiste en un décalogue des agressions internationales / nationales, accompagné par la défense de tout acte du chavisme. Le discours du bien et du mal peut avoir un effet pour la défense de la démocratie et pour démasquer l’ennemi, mais il a peu de force pour reconstruire la solidarité, pour parler avec les gauches, les progressismes qui , de plus, se trouvent dans une période de doutes plus que de certitudes – le Vénézuela était une des certitudes, maintenant moins. Il est nécessaire de mettre en débat la révolution comme révolution et pas avec le clivage du bien/ mal.
Le processus a des contradictions, des passions joyeuses, des passions tristes, des policlassismes qui mettent en tension les voies de sorties de la guerre/ crise économique, des outils politiques, des mouvements, des expériences d’organisation populaire, des logiques bureaucratiques,, épiques, plus d’un million neuf cent mille logements donnés etc. Il est nécessaire d’analyser cela, de le traduire dans d’autres langages politiques, penser un narratif qui sorte des expressions comme « commandant suprême », et de la liturgie de propagande, qui sont contre productifs dans d’autres pays, – souvent aussi au Vénézuela .
Cela signifie que l’on doit creuser l’analyse du processus lui-même, toujours dans le cadre général dans lequel il se développe. La voix officielle est évidemment indispensable, mais elle devient insuffisante à elle seule pour ce deuxième niveau : c’est une (auto) limitation que de défendre la révolution seulement du point de vue de l’institutionalité et de peu de dirigeants . On ne profite pas de la puissance du chavisme, on le réduit à la direction du gouvernement et du Psuv, et la révolution est présentée comme faisant face à une avalanche d’images d’inflation, queues, migrations, opposants virulents à l’étranger, avec un discours bien souvent éculé, pour les convaincus d’avance.
Nous avons besoin de reconstruire des stratégies de communication, de pouvoir de nouveau enthousiasmer, et cela passe par l’ouverture des prises de parole vers l’extérieur, des récits, des débats sur la révolution elle-même. Il faut aussi revoir, par exemple, les rencontres de solidarité réalisées au Vénézuela, où le schéma hôtel/ salle fermée/ dialogue avec quelques dirigeants est une formule à effets limités. Pour rendre amoureux de la révolution, il faut la faire partager à la base, avec des expériences comme des assemblées communales, des distributions des CLAP (comités d’approvisionnement), dans le pays profond, sans la climatisation. La révolution, ce sont les dirigeants formels ? Ce serait une grave erreur de la concevoir ainsi, une erreur qui arrive, et c’est une partie de notre problème à l’intérieur comme à l’extérieur.
C’est un second niveau clé . Il implique aussi de reconnaitre les problèmes, de les analyser, de les expliquer ; par exemple le développement de la corruption et son combat, la difficulté à réussir l’extension de la base productive malgré les essais qui ont été faits dans cette voie – à l’extérieur, tout le monde se demande pourquoi le chavisme n’a pas essayé-, ou quelles erreurs avons nous commises pour ne pas réussir à stabiliser la situation économique provoquée par la stratégie de l’ennemi. Faire le procès des limites octroie une plus grande crédibilité et cette crédibilité est aujourd’hui indispensable
Cette analyse est le fruit d’une tournée que nous avons faite en janvier et février dans plusieurs villes d’Europe, où nous avons fait des tables rondes, donné des interviews à différents médias ; une initiative qui a été possible grâce à des associations ,des forces politiques, qui travaillent à la solidarité avec le Vénézuela. La conclusion, après cette expérience , c’est que l’on peut reconstruire un tissu de soutien public, mais qu’on y arrivera difficilement si on maintient le pilote automatique. L’ennemi a développé une force internationale dans le cadre d’une avancée des droites dans plusieurs pays ; il dispose d’alliances puissantes –qui constituent l’ennemi lui même- et sait jouer sur le terrain de la communication. La révolution, comme dans d’autres domaines, doit se réinventer pour se défendre et apporter ses enseignements qui sont nombreux. Telles sont les pistes pour le faire. Cela devient urgent dans ce contexte d’isolement croissant et un ciel qui se couvre de nuages d’orage.
Source: https://hastaelnocau.wordpress.com/2018/02/22/la-solidaridad-internacional-en-tiempos-de-guerra/
Traduction pour FAL33 : Marie Claire Richard
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