Le Secrétaire d’État états-unien Rex Tillerson a suggéré la possibilité d’un coup d’État au Venezuela pour chasser le président élu Nicolas Maduro et l’exiler à Cuba : « parfois en Amérique Latine l’armée peut être un acteur de changement quand les choses vont trop mal« , a-t-il précisé le jeudi 1 février.
La thèse est assez souvent répétée mais elle ajoute plus de réalisme au scénario actuel : plus les partis d’opposition rendent visible leur incapacité à diriger le front intérieur de l’opération de changement de régime, plus les puissances occidentales se font les porte-paroles d’actions contre le Venezuela et agissent. De façon de plus en plus agressive et brutale.
La semaine dernière, le chef de la CIA, Mike Pompeo, a avoué lors d’un forum du think-tank néo-conservateur American Enterprises Institute que l’appareil de renseignement qu’il dirige a travaillé coude à coude avec Trump les éléments des sanctions contre le Venezuela.
Les médias internationaux qui ont rapporté ses déclarations en ont extrait la partie la plus rentable pour eux, oubliant les détails que, pendant presque une heure, Pompeo a donnés sur le parcours qui a abouti à la mise sur pied de institutionnalisation des sanctions financières par un Ordre Exécutif (13692) et la désignation de plus de 30 fonctionnaires de haut niveau du Gouvernement vénézuélien par l’OFAC/Département du Trésor.
Pour orchestrer les sanctions, la CIA, selon son chef, a préparé des rapports sur le statut actuel des Forces Armées Nationales Bolivariennes (FANB) et leur relation avec le pouvoir exécutif. Il a aussi été élaboré une mosaïque des points faibles de la dette extérieure concernant le délai et la capacité de paiement du pays destinée à obtenir une plus grande efficacité qui se permettrait non seulement de forcer la situation de défaut de paiement mais aussi de déformer le schéma du commerce international du Venezuela concernant des produits de base comme les aliments et les médicaments.
Peut-être à cause du flux énorme d’informations au Venezuela où des événements importants peuvent remonter dans un ensemble de nouvelles concernant le spectacle, les déclarations du chef de la CIA sont arrivées dans la plus grande indifférence, encouragée par les nouvelles technologies de l’information en ce qui concerne la politique parce que c’est leur intérêt. Et cela aussi fait partie du plan : l’individualisation en tant que processus systémique (le contraire de la politique) est la dernière touche de la grande œuvre du pouvoir mondial pour supprimer les vases communicants de la société.
Des déclarations de Pompeo se détachent, au moins, 3 signes qui vont marquer le conflit politique et sa internationalisation consciente pour des raisons géopolitiques impérieuses après l’installation de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) et le désastre de l’opposition interne:
1° La confession de la CIA est un reflet du fait que le pouvoir dur (qu’on appelle « Etat profond » dans les conclaves des grandes corporations qui décident de la politique étrangère des puissances) laisse derrière lui la diplomatie et, dans le meilleur des cas, lui impose ses rythmes et ses façons d’agir.
2° Que des organes de sécurité étasuniens entrent en jeu de façon frontale révèle que les sanctions et ce qui en découle sur le terrain sont une expérimentation pré-guerrière dans laquelle la vie de la population et l’Etat Nation doivent être détruits par des mécanismes de pouvoir réel (interruption de la fourniture d’aliments, de produits d’hygiène, d’argent) en poussant un scénario d’intervention préventive pour « raisons humanitaires » et « l’effondrement définitif » tellement annoncé.
3° Les agences du Gouvernement des États-Unis et le Congrès prennent un tournant dans lequel « l’issue » à la crise vénézuélienne est transnationale et se fait par la force, les élections et l’Etat en exercice (la Constitution vénézuélienne) en tant que pratique sociale et cadres symboliques de la nation, deviennent des obstacles au développement du plan de fond. Le Gouvernement Trump est, à la base, une Junte Militaire. C’est pourquoi il crie à la « fraude » dès que les élections présidentielles ont été annoncées.
La création par l’extrême droite de María Corina Machado de « Je suis le Venezuela » comme avant-garde idéologique de « l’intervention humanitaire » nommée ainsi sans aucun détour car ils savent qu’ils recevront les applaudissements du Congrès, doit être vue comme l’élargissement de ce front. Le vertige que donne l’élargissement des sanctions demande de simuler une certaine vénézolanisation.
Dans une vidéoconférence avec des journalistes, le haut fonctionnaire du Département d’État a évoqué sans plus de détails la façon dont « un officiel du Département de l’État-major » a donné certains détails sur la tournée qu’effectuera le Secrétaire d’Etat Rex Tillerson en Amérique Latine à partir du 1° février. Dans son programme, il est prévu qu’il se rende au Mexique, en Argentine, en Colombie, au Pérou et en Jamaïque et qu’il rencontre les principales autorités et le corps diplomatique des pays qui composent le Groupe de Lima.
Un détail important : cette tournée se déroule à quelques jours de la présentation par la Chine, qualifiée comme l’une des principales menaces pour les États-Unis dans sa Stratégie de Sécurité Nationale et de Défense pour 2018, de son projet Initiative de la Bande et de la Route au II° Forum Chine-CELAC (Communauté des États Latino-américains et des Caraïbes). Un fait qui n’est pas sans importance étant donné que la Chine augmente son influence financière sur la région dont le Venezuela est un pivot dans les stratégies du géant asiatique qui prend la place des États-Unis comme principal partenaire commercial.
Les journalistes ont interrogé « l’officiel » sur les divers sujets que Tillerson devrait traiter pendant sa tournée. Les négociations complexes sur le TCLAN avec le Mexique, l’augmentation de la production de drogue en Colombie et d’autres négociations sur l’ouverture de marchés pour les exportations étasuniennes devraient tenir une bonne partie de l’ordre du jour bien que le sujet du Venezuela devrait être au premier plan pour la presse mondiale.
A une question de la journaliste María Molina de Radio Colombia sur l’efficacité des sanctions contre le Venezuela, il a répondu : « La campagne de pression fonctionne. Les sanctions financières que nous avons imposées au Gouvernement vénézuélien l’ont obligé à commencer à créer le défaut de paiement aussi bien en ce qui concerne la dette souveraine que la dette de PDVSA, leur compagnie pétrolière. Et ce que nous allons amener, (…) c’est un effondrement économique complet du Venezuela. Alors, notre politique fonctionne, notre stratégie fonctionne (…) » Cette déclaration est un message pour tenter d’affaiblir la table de dialogue en République Dominicaine.
Il souligne aussi (sur un ton assez euphorique) les sanctions coordonnées avec l’Union européenne et la création du Groupe de Lima pour mettre en place une coalition qui augmente la capacité de nuisance des sanctions des États-Unis.
De cette façon, les États-Unis reconnaissent une évidence mais qui résonne différemment quand elle est prononcée par le pouvoir : les sanctions imposées au Venezuela n’ont pas pour but de « rétablir la démocratie » ou d’inciter à des « négociations sérieuses » avec l’opposition mais de faire s’effondrer le pays économiquement et financièrement pour l’engager dans une situation de chaos perpétuel qui pourrait permettre une issue militaire. La privation d’aliments et de médicaments, le boycott du dollar parallèle et le blocus financier sont des étapes préalables et ceux qui les mettent en place reconnaissent qu’elles suivent la bonne voie. Le moment d’occulter les ordres du jour est passé.
Pendant ce temps, le Congrès des États-Unis a déjà approuvé dans sa chambre basse un projet de loi « d’assistance humanitaire » au Venezuela qui oblige la diplomatie étasunienne à chercher à obtenir du Conseil de Sécurité de l’ONU des mesures coercitives qui permettent de faire parvenir cette « aide » grâce à des mécanismes militaires et privés. Le Département d’Etat reconnaît que les politiques de sanctions représentent un ensemble d’agressions préalables pour que cette loi l’impose comme la seule solution pour le Venezuela.
Tillerson semble avoir bien prévu son ordre du jour et la façon de faire pression, ce n’est pas pour rien que Pompeo s’attribue les sanctions et « l’officiel » du Département d’Etat interviewé fabrique un modèle aux objectifs que poursuivent les sanctions. Une manœuvre qui rend transparents les acteurs de poids qui sont derrière et contrôlent.
A la lumière des composantes du front intérieur (dialogue, Assemblée Nationale aux mains de gens comme ceux du parti Un Nouveau Temps, décomposition de l’opposition de partis politiques et organisation d’élections présidentielles) tout suggère que la tournée de Tillerson non seulement annonce une ronde de sanctions plus agressives contre l’économie – le Journal des Amériques envisage un éventuel embargo sur le pétrole – mais la construction de bases de soutien dans la région pour les rendre légitimes. Le Groupe de Lima a été créé pour cela. Au départ, il a été fondé en tant que garant du blocus politique, diplomatique et financier du pays. Il faudra voir combien de pays sont attirés par le fait de rompre les relations commerciales et diplomatiques avec le Venezuela car au-delà des communiqués, les États-Unis ont besoin d’envoyer un message fort et d’augmenter l’efficacité du blocus diplomatique et financier.
Une analyse minimale des éléments dont nous avons parlé permet d’envisager l’éventualité qu’à mesure que l’effondrement provoqué par les sanctions avance, cette coalition se transforme en front militaire pour faire pression pour une intervention « humanitaire. » La résistance provoquée par les paroles de Trump disant qu’il n’écartait pas « l’option militaire » au Venezuela a différentes acceptions, selon qu’il s’agit d’une intervention pour soi-disant protéger ou sauver un pays « effondré », ou de l’ouverture de « couloirs humanitaires » par des pays frontaliers pour balkaniser le pays. La CIA et le Congrès travaillent à ce changement de sens devant lequel le Département d’État et son « chef » baissent la tête.
The Washington Post et The New York Times, des médias qui ont d’importantes relations commerciales avec la CIA, accélèrent une intense campagne pour homologuer le Venezuela avec la Somalie ou le Congo, des pays également victimes de cette sorte de guerres. Les crimes ne sont pas seulement économiques mais se mènent aussi dans le domaine de l’information.
Les tournées de hauts fonctionnaires des États-Unis pour préparer un ordre du jour de siège ont un précédent dans la tournée de Mike Pence en août, quelques semaines après l’installation de l’Assemblée Nationale Constituante et avec une opposition dévastée, dans laquelle il s’agissait d’intégrer des soutiens régionaux pour augmenter les pressions sur le Venezuela.
Quelques semaines plus tard, un Ordre exécutif signé par Donald Trump institutionnalisait le blocus financier du Venezuela, une action qui aujourd’hui rend chaotiques tous les aspects de la vie sociale, économique et politique du pays. Un crime qui aujourd’hui dépasse toutes les lois internationales et « met contre le mur l’estomac de la population »…
Traduction: Françoise Lopez pour Bolivar Infos
Source en espagnol : http://misionverdad.com/LA-GUERRA-EN-VENEZUELa/eeuu-reconoce-publicamente-que-busca-llevar-a-venezuela-al-colapso
URL de cet article :http://bolivarinfos.over-blog.com/ 2018/02/venezuela-les-etats-unis-reconnaissent-publiquement-que-les-sanctions-cherchent-l-effondrement-du-pays.html
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