Pourquoi cette marche entre deux pièces fait-elle si mal à la jambe ? Pourquoi le gravier freine-t-il la roue de celui qui emmène la grand-mère à la maison de retraite ? Et ces feuilles du potager dont le petit-fils s’amuse à faire un bouquet pour que la femme qui laissa contre son gré les montagnes d’Algérie, lui dise “pourquoi fais-tu ça” ? Toutes les questions et tous les silences sont sous “Le figuier au pied du terril” de Nadia Bouferkas, Mehmet Arikan et Naim Haddad. Comme des pas dans la nuit, la grand-mère polonaise ou algérienne font et refont dans leur cuisine, le voyage infini des carrelages imprécis, glacés, de ceux qui découvriraient un jour, pas si loin de chez eux, des maisons où la température était la même dans chaque pièce. Les jambes supportent encore, mais à peine, cette histoire populaire de France. « Avant les hommes étaient fous, je crois que c’est la poussière des mines qui les a rendus fous » dit Nanass. Anciennes baraques pour prisonniers allemands converties en maisons pour mineurs ramenés en esclaves des quatre coins d’Europe, avec les vingt cafés sur la route entre la fosse et le « chez soi ». Dans la valise le carnet d’adhérent de la CGT, le certificat de silicose arraché au médecin du travail parce qu’on a réussi à faire déterrer un corps.
Parfois, la caméra se déhanche pour faire dialoguer les temps dans le cadre. On regarde de nouveau les maisons, si pareilles vues de loin, que le professeur Dewitte appelait « votre ghetto ». Que d’humiliation, de mépris dans son rictus et pourtant ses anciennes élèves, les fillettes arabes du « ghetto », continuent à saluer le vieillard qui ne vivait qu’à 200 mètres de chez elles. Par culture du respect. Loin du plateau de télévision où meurt la politique, Nadia et Mehmet font vivre l’intelligence vivante d’une jeune femme arabe qui débat avec ses amis : prendre sa place dans la société c’est forcer le respect à partir de l’affirmation de soi. Forger l’histoire de la France dans le fer encore rouge du travail des générations qui nous ont précédés.
« Quand verrai-je le film ? », insiste la plus grande femme de l’histoire de l’Humanité après Cléopâtre, « le verrais-je ? Car dans ma famille on ne vit pas vieux ». « Heureusement que je ne suis pas allée à l’école sinon je prendrais un papier grand comme cette table pour écrire tout ce qui ne s’est pas bien passé ». Rires, pleurs, applaudissements de soutien, émotion de prendre la parole face à la salle remplie. Le film a commencé ainsi, en amont, par les discussions. Il sort à présent des grandes salles et voyage de maison en maison, salon après salon, famille après famille. Le figuier se fait palabre, accomplissant ainsi la fonction vitale du documentaire: organiser la vie. Avec au moins cinq leçons de méthode pour la télévision du futur délivrée des egos de plateau. Le respect. L’écoute. L’humilité. Le territoire. Le temps.
Thierry Deronne
Contact: tribu.documentaires@free.fr
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