Août 2017. Arriver à Segovia, au Nord-est du département Antioquia, pendant la grève minière qui a lieu depuis plus d’un mois demande de traverser les barricades aménagées sur les routes pour empêcher l’accès de la police antiémeute (Escuadrón Móvil Antidisturbios – Esmad) et de l’armée nationale (Ejército). Les premières barricades se trouvent à Remedios, et à Segovia, des groupes de jeunes se concentrent autour de ces barricades et se relaient jour et nuit pour contrôler l’accès au territoire.
Chaque après-midi, la population se réunit en grand nombre et les leaders de la grève expliquent les nouvelles du jour. Des milliers de personnes assistent et prennent connaissance des dernières nouvelles.
La grève cause des problèmes d’approvisionnement en nourriture pour une population qui s’organise collectivement en préparant des dizaines de soupes communautaires (35 au total) qui permettent de nourrir environ 12 000 personnes chaque jour. Toute la journée, elles et ils ont accès à de petits convois humanitaires qui amènent des produits essentiels et des médicaments.
Des dizaines de paysan•ne•s et d’Autochtones vivent depuis un mois dans des installations sportives. Elles et ils y sont venu•e•s en solidarité avec la grève. Quelques voisin•e•s ont dû abandonner leurs résidences suite à l’occupation complète d’un quartier de la municipalité par les troupes de l’Esmad.
Les déclarations et l’attitude des différentes autorités qui ont accusé des groupes d’insurgé•e•s ou paramilitaires d’être derrière ces mobilisations ont provoqué l’indignation générale. La seule aide reçue jusqu’à maintenant provient de la Croix-Rouge locale et des pompiers et pompières volontaires qui transportent des blessé•e•s. Pour leur nuire et s’en venger, on a faussement accusé ces organismes d’aider les mineurs à passer des explosifs.
La présence de la multinationale Gran Colombia Gold, qui tente d’éliminer les mineurs traditionnels du territoire, l’implémentation d’une législation minière conçue sans tenir compte des caractéristiques particulières de l’exploitation minière traditionnelle et la résistance des communautés minières à ces deux enjeux sont les causes de cette grève.
Les leaders du mouvement minier expliquent les problèmes que la réglementation amène pour leurs projets de vie et comment, depuis 2014, l’État et la police ont traité les mineurs comme des criminels (dans ce que les autorités nomment Opération Troya). Les leaders se défendent et affirment que leurs seules armes sont les outils avec lesquels elles et ils labourent la terre. Des représentant•e•s du syndicat des travailleurs officiels (Sindicato de Trabajadores Oficiales) et des fonctionnaires d’Antioquia affirment que leur travail était de défendre les mineurs pour ne pas se faire enlever le matériel aurifère et jeter en prison.
Depuis lors, le problème n’a fait que croitre et la lutte avec cette multinationale qui tente de dépouiller les mineurs ancestraux et traditionnels de quelques mines exploitées depuis plus de 40 ans a mené au conflit actuel. La compagnie Gran Colombia Gold a fait appel aux autorités pour obtenir de l’aide pour fermer et évacuer les mines où les mineurs locaux travaillent. Ce conflit s’est déroulé pacifiquement jusqu’à l’intervention de l’Esmad qui, contrevenant aux normes du droit humain international, s’est installé à la fois dans l’école et l’hôpital et a mené au déplacement de la population civile qui vivait dans le quartier Liborio Batalled.
Après un mois de protestations et de grève, l’intervention des forces de l’État a fait trois morts, en plus de dizaines de blessé•e•s et de détenu•e•s. Les mineurs montrent des vidéos enregistrés où on peut voir la présence de tireurs d’élite parmi les forces de l’État et montrent comment elles et ils sont surveillé•e•s depuis les airs avec des drones (des avions sans équipage).
Selon les manifestant•e•s, les autorités espèrent seulement que la grève soit levée, et la multinationale canadienne n’a même pas participé aux négociations. L’entièreté de la population locale dépend exclusivement de l’or : des mineurs aux « chatarerros » (qui ramassent les résidus laissés par les mineurs), en passant par les « barriqueros » (qui tamisent le fond du fleuve à la recherche d’or), aux petits commerçants qui achètent de l’or et à tout le secteur des services destinés aux mineurs et à leur famille. C’est ce qui explique la détermination des habitants dans leurs revendications, qui insistent sur le fait qu’ils préfèrent continuer à protester plutôt que de perdre leur mode de vie traditionnel et se retrouver dans la misère.
Toute la population de la région dépend exclusivement de l’or. Des mineurs aux personnes qui récupèrent les résidus de l’exploitation minière, aux personnes qui ont une barque, aux petit•e•s commerçant•e•s qui achètent l’or et l’ensemble du secteur des services qui approvisionnent les mineurs et leurs familles. Ceci explique la détermination des villageois•e•s dans leurs revendications, insistant préférer continuer à manifester que perdre leur mode de vie traditionnel et se voir contraint•e•s à l’impuissance.
La nuit avance et des groupes de jeunes occupent leur tour de garde avec des feux de joie sous la pluie, attentifs à ce que ni l’Esmad ni l’armée ne tente de s’immiscer dans la population, en attendant l’aube et que commence un nouveau jour de grève, dans l’espoir que les autorités et la multinationale s’engagent à maintenir une négociation et que les troupes abandonnent ce territoire où jusqu’à maintenant les gens avaient vécu en paix.
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